HOMMAGE A MANUEL AZANA
En hommage à Manuel AZAÑA, je représenterai notre collège lors de la cérémonie qui se tiendra demain 10 novembre 2018 à 10h30 devant sa tombe, au cimetière de Montauban.
Je recevrai ensuite, vers 11h30, une délégation franco-espagnole au sein de notre collège, pour le leur faire visiter. Je lirai alors le texte qui suit, et que je vous présente ci-dessous.
Je remercie M. AMALRIC, président de l'association "Présence de Manuel AZAÑA", M. GONZALEZ, élu du Conseil départemental et membre de notre conseil d'administration, pour leur engagement.
Je remercie Mme SOLA, ma soeur, professeur de chaire supérieure d'espagnol au lycée Henri IV à Paris, pour sa contribution au texte qui suit.
" Enfant de la classe moyenne d’Alcalá de Henares, à une trentaine de kilomètres de Madrid, Manuel AZAÑA grandit dans une famille libérale et reçoit une éducation religieuse : autant de facteurs qui forgent son esprit républicain, de gauche, anticlérical. Il va à la Faculté de droit. Il devient un intellectuel espagnol important, dans le sillage de tous ces penseurs qui, comme Ortega y Gasset, réfléchissent à la régénération de la vie sociale et politique espagnole après la perte des dernières colonies espagnoles en 1898 (Cuba, Porto Rico, Philippines).
Dans les années 10-20, Manuel Azaña participe avec enthousiasme à la vie culturelle madrilène. Il est correspondant de guerre en France et en Italie pendant la 1ère guerre mondiale. 1926 représente une année emblématique durant laquelle, d’une part, il fonde le groupe progressiste et républicain Acción Republicana, germe du futur parti Izquierda Republicana qui prendra part au Front Populaire de 1936, et, d’autre part, reçoit le Prix National de littérature pour son Vida de don Juan Valera : concomitance définitoire de sa vie.
C’est un vieux tropisme espagnol qui se jouait là, celui du débat sur la valeur respective des armes (disons qu’ici elles représenteraient l’engagement politique, la prise sur le réel) et des lettres, développé dans le chapitre 38 de la première partie du Quichotte, entre autres, et dont Cervantès, son auteur, porte sur son corps l’emblème inextricable -- l’étoile de la blessure acquise à Lépante sur la poitrine et sur un bras (le combattant) et, dans le même temps, l’autre main qui écrit sans cesse (l’homme de lettres). Cervantès né 300 ans avant AZAÑA, dans la même rue d’Alcalá de Henares, me semble-t-il, dont Don Quichotte, cette « figure qui parvient à fondre le réalisme et la mythologie en une seule émotion », pour reprendre les mots d’AZAÑA lui-même, peut peut-être inspirer notre zèle éducatif dans ses deux polarités, -- l’écoute humble du réel, d’un côté, et une forme d’idéalisme de l’autre, vivifiées mutuellement par une constante réciprocité.
Puis, une fois proclamée la II République Espagnole, Manuel AZAÑA, devenu président du conseil à la fin de 1931 et ce jusqu’en 1933, entreprend de multiples réformes -éducative, agraire, militaire, ainsi que la laïcisation de la société. Il existe une part sombre de son mandat, aussi, avec pour symptôme la répression sanglante du village de Casas Viejas en 1933, dans la province de Cadix.
Ce sont les Missions pédagogiques (Misiones pedagógicas) qui retiennent mon attention aujourd’hui, cette initiative qui éclot à la fin de 1931, et qui a pour vocation d’apporter la joie du savoir, l’étincelle de la découverte, le plaisir de l’art, la possibilité d’une vision alternative du monde et de la société dans une Espagne traditionaliste et rurale où plus de 40 % de la population est analphabète (et sous la tutelle de l’Eglise). Il faut s’imaginer alors comment des villages reculés découvrent éberlués les images cinématographiques ou La vie est un songe de Calderón.
Voici le texte que prononçaient rituellement, devant les villageois, les missionnaires pédagogiques (cinéma, théâtre, cours, lecture de livres…) avant chacune de leurs interventions :
« Es natural que queráis saber, antes de empezar, quiénes somos y a qué venimos. No tengáis miedo. No venimos a pediros nada. Al contrario, venimos a daros de balde algunas cosas. Somos una escuela ambulante que quiere ir de pueblo en pueblo. Pero una escuela donde no hay libros de matrícula, donde no hay que aprender con lágrimas, donde no se pondrá a nadie de rodillas. Porque el Gobierno de la República, que nos envía, nos ha dicho que vengamos ante todo a las aldeas, a las más pobres, a las más escondidas, a las más abandonadas, y que vengamos a enseñaros algo, algo de lo que no sabéis por estar siempre tan solos ».
Parmi les missionnaires de la première heure, Federico García Lorca, 33 ans, crée La Barraca, troupe universitaire ambulante représentant les comedias du siècle d’Or espagnol dans les coins les plus reculés de l’Espagne, dont j’ai toujours aimé penser que ma grand-mère, andalouse comme lui (elle était de Ronda) avait croisé la route, elle qui, pourtant si pauvre et si éloignée de la culture légitime, était devenue comédienne amateur entre 16 et 18 ans au sein d’une petite troupe ambulante et jouait des pièces profanes et gratuites devant des publics encore plus pauvres qu’elle. Cette ouverture (on est alors en 1931-32) aurait été indéniablement impossible sans l’initiative culturelle républicaine. Une leçon plantée dans mon cœur au service des valeurs républicaines.
Lorca dans son silence minéral, Lorca qui, à l’heure où nous nous recueillons sur la tombe de Manuel Azaña, gît encore, « desaparecido de la guerra civil » dans une de ces fosses dont on dit qu’il y en aurait au moins 2500 en Espagne et dont la moitié n’a pas encore été ouverte. Car c’est par leur sépulture aussi que ceux qui s’appelaient le camp « national » au mépris de toute légitimité politique achevaient d’humilier les vaincus, pendant que Franco faisait construire pour ses « croisés » un mausolée grandiloquent où il est lui-même enterré depuis 1975 et qui apparaît, enfin aujourd’hui, dans une Espagne qui célèbre les 40 ans de sa Constitution, comme un véritable scandale. Lorca, Azaña, ce dernier étant acculé à l’exil et à qui le régime de Vichy refusa le drapeau républicain espagnol et dont le cercueil fut recouvert du drapeau mexicain.
Chaque jour, je me réjouis que la République française, dans un noble souci d’universalité républicaine et laïque, se soit approprié, pour notre établissement, le nom et le legs de cet Espagnol et que, dans notre collège, le drapeau français lui soit un linceul symbolique et notre action -du moins c’est ainsi que je voudrais que nous la concevions- un prolongement de son idéal."